Presque un an après leur victoire à Colombes, les joueurs du Stade Rochelais ont fait leur retour dans les Hauts-de-Seine. Sauf que depuis, les matches du Racing 92 n’ont plus lieu à Colombes, mais à Nanterre dans la nouvelle U Arena. Un match qui s’annonçait chaud (« garanti match le plus chaud » selon les affiches promotionnelles), entre deux équipes du haut de tableau, joueuses, et particulier dans cette nouvelle enceinte.
La U Arena, une salle de spectacle plus qu’un stade
Trajet en bus à travers Courbevoie, La Garenne-Colombes, Colombes. Arrivée au stade direction le pesage ou la tribune métallique. Le stade Yves du Manoir de Colombes n’était pas tout jeune, ni très confortable, mais il a une histoire, un charme. Bref, c’est un stade de rugby. Il faisait froid, il pleuvait. Allez voir un match du Racing 92 à Colombes ça se méritait et cela avait une saveur particulière, celle d’un match de rugby un peu à l’ancienne.
Oui mais voilà, tout ça, c’est du passé. Depuis décembre, les Racingmen jouent leurs matches à la U Arena. Le nouveau stade, salle de spectacle du Racing a un toit constamment fermé, une pelouse synthétique et des sièges confortables. De plus, il a l’avantage d’être situé à 5 minutes à pied de chez moi (20 minutes les jours de match). C’est bien pratique !
Deux jours avant le match, j’ai reçu un email de la part de la U Arena, me donnant des infos pour préparer ma venue. Il y était annoncé toutes sortes d’animations, du mapping, un social wall, un DJ, une kiss cam et on m’invitait même à télécharger une application mobile pour participer à un show lumineux. Waouh ! Est-ce que Justin Timberlake viendra chanter à la mi-temps ? Ça va changer de Colombes.
Le jour-J, direction donc la U Arena. Il y a du monde aux abords de la salle et notamment un bon nombre de Rochelais. Pour y accéder, deux barrages avec fouilles. Une fois dans la salle, l’impression est bizarre. C’est la troisième fois que je m’y rends, mais la première pour assister à un match de rugby. La forme en U avec un immense écran (le plus grand d’Europe apparemment) prenant la place d’une tribune détonne. Les joueurs sont à l’échauffement tandis qu’un DJ et des animations approximatives (à base de grosses boules et de lancers de ballons dans le public) tentent de faire monter l’ambiance. Il y a même une animatrice, en plus du speaker pour orchestrer tout ça. Des danseurs font leur apparition sur la pelouse. Pas de vulgaires pom-pom girls, non, une troupe de danseurs du Jeune Ballet Européen ! Le Racing, c’est Show-Bizz. Puis c’est au tour de Mahout, la mascotte du club d’apparaître, quand tout à coup un drone surgit pour lui apporter le ballon du match. Le Stade Français de Guazzini avait plus d’imagination et d’ambition.
Un match à enjeu
Côté sportif, le match opposait tout de même le deuxième au troisième du Top 14 (50 points chacun), autant dire une belle affiche. Teddy Thomas était bien présent dans le XV de départ du Racing, se faisant chambrer et siffler pendant le match, accompagné notamment de Dan Carter qui prenait part à son premier match à la U Arena. Quant à La Rochelle, Collazo avait décidé de faire tourner son effectif en plaçant un bon nombre de cadres sur le banc. D’ailleurs, il est à noter que la composition d’équipe du Racing 92 présentée sur l’écran géant mettait en scène les joueurs en costume-cravate. Et oui, c’est Show-Bizz !
Pour l’entrée des joueurs, les lumières s’éteignent. On nous a demandé de télécharger une application mobile pour participer à un show. Je n’ai toujours pas compris ce que c’était. Les lumières se rallument pour le coup d’envoi. Teddy Thomas est tout de suite très en jambe en concluant une action d’essai logiquement refusée après vidéo. Il semble s’être bien remis de sa virée nocturne de Glasgow. La première tentative de pénalité est ratée par Ryan Lamb. D’ailleurs, lors de ce match, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu autant de pénalités ou de transformations ratées, en plus sans le moindre vent. Le premier essai est marqué peu de temps après par Nyanga. Puis viennent ceux d’Imhoff et de Lambie pour porter le score de 19 à 0 à la mi-temps.
Une mi-temps signalée au son de The Final Countdown du groupe Europe, ce qui a un peu surpris. Le score reflète fort logiquement la maîtrise des Ciels et Blancs lors de cette première période. Les Rochelais n’ont pas existé et n’ont pas inscrit le moindre point, pourtant meilleure attaque du championnat. Je suis inquiet, l’écart est déjà important et ils devaient réagir pour ne pas subir une fessée (dédicace à la soirée de Glasgow du XV de France).
Pendant la mi-temps, ou plutôt l’entracte, la troupe de danseurs fit son retour, accompagnée cette fois-ci d’une violoniste. C’est un peu plus approprié et classe que les pom-pom- girls de Jean Bouin, mais…
Le match reprend avec à la 49ème minute un essai d’Amosa pour le Stade Rochelais. Non transformé, cet essai ne relance pas vraiment le match mais a le mérite d’ouvrir le compteur des Jaunes et Noirs. Les remplacements rochelais se font assez tôt, mais le Racing reste dominateur, notamment en conquête, domaine où les Rochelais sont très performants d’habitude. Beaucoup d’erreurs également pour les Maritimes, d’en-avants (en particulier celui de Murimurivalu qui amène le 1er essai francilien), de ballons perdus (Botia en perd 2 il me semble sur des charges). Une défense peu efficace. Je ne les reconnais plus, peut-être déstabilisés par le lieu.
Soudain, à moins de 10 minutes de la fin du match, un lancement de jeu sur une touche permis à Paul Jordaan de percer la défense du Racing pour inscrire un essai aussi enthousiasmant qu’inattendu. Brock James transforme et le Stade Rochelais n’est plus qu’à 7 points du Racing. Le match est relancé, les supporters se réveillent. Les dernières minutes de la partie s’écoulent jusqu’à entendre de nouveau The Final Countdown.
Mais, surprise, les joueurs du Racing continuent à jouer au lieu de mettre le ballon en touche. Pourquoi ? Le bonus offensif leur est inaccessible et les Rochelais sont à portée de match nul. Il semblerait que ce nouveau jingle remplaçant la sirène habituelle ait été utilisé pour la première fois lors de ce match, et aurait donc créé la confusion auprès des joueurs. Cette fin de match est pleine de tension, jusqu’à une ultime offensive rochelaise ponctuée par un coup de pied rasant de Brock James (il en abuse un peu trop à mon goût depuis qu’il joue à La Rochelle) en direction de Murimurivalu, mais dégagé hors du terrain par le pied de Dupichot. Que va t’il se passer ? Cette action m’a rappelé celle de Bouldoire la saison passée à Montpellier, sanctionnée d’une pénalité. L’arbitre siffle la fin du match sur cette action et c’est une victoire pour le Racing 92 sur le score de 19 à 12. Ok, je n’ai pas compris.
Un résultat et une expérience décevants
Grosse frustration. Même si les Racingmen étaient supérieurs aux Rochelais sur l’ensemble du match, les Jaunes et Noirs étaient plus entreprenants sur cette fin de rencontre et furent tout près d’accrocher un match nul. 5 essais ont été marqués, tous de mon côté. En même temps, il est plus motivant pour des joueurs de marquer face au public que face à un écran géant.
Justement, cet écran, revenons-en. Flanqué de deux écrans « géants » classiques diffusant le match, le plus grand écran d’Europe surprend dans une salle accueillant du rugby. Prenant la place d’une tribune, il diffuse les compositions d’équipe, mais surtout tout au long du match on y voit apparaître les explications des coups de sifflet de l’arbitre avec la nature des fautes et des précisions sur les règles. Sont diffusées également des statistiques collectives et individuelles. C’est intéressant, mais assez perturbant. On a presque l’impression de suivre le match à la TV. Il ne manquait que les commentaires pendant le match (c’est peut-être la prochaine étape).
Tous ces moyens renforcent la fameuse « fan experience » et permettent à un public plus large de s’intéresser au rugby. Mais d’un autre côté, j’estime que cela créé une distance entre le supporter et le match. Nous ne sommes pas sur notre canapé devant notre TV, nous somme au match. Cette sensation est d’autant plus renforcée par le confort dans lequel nous avons suivi la rencontre, dans des sièges confortables avec accoudoirs, dans une salle couverte, au chaud et sans le moindre vent, comme à la maison ou presque. Un confort qui a quelque peu endormi les 21000 spectateurs.
L’ambiance n’était pas vraiment au rendez-vous, malgré la présence d’une banda (qui jouait même lors des tentatives de pénalités rochelaises), d’un espace jeune « U Crazy » avec des animateurs et de supporters Ciels et Blancs dotés de tambours. Il y avait quelque chose d’artificiel, avec toutes ces animations et ces moyens déployés pour créer de l’ambiance. Pour moi, un match de rugby doit se suffire à lui-même pour susciter de l’enthousiasme, surtout un match de club. Et puis, dépenser autant de moyens dans la mise en scène, les animations, tout en accueillant les équipes visiteuses dans un cagibi, le contraste est presque insultant.
En changeant de « stade », le Racing 92 a changé de visage, ce n’est plus le même club et j’ai l’impression que ce n’est même plus vraiment le même sport. Avec cette U Arena (en attente d’un partenariat de naming), on se rapproche d’un modèle « nord-américain », où les salles accueillent différents événements et équipes sportives. Même les messages sur les écrans suggérant aux spectateurs de respecter les buteurs sont sponsorisés. Je ne pense pas que ce modèle soit l’idéal pour un club de rugby. Pour moi, un club et ses supporters doivent s’approprier un stade, s’identifier à lui. La U Arena est une salle de spectacle accueillant les matches du Racing 92, ce n’est pas un stade de rugby.
Bref, ce fut un match frustrant par le résultat, la dernière action, ainsi que par l’expérience de la U Arena en configuration rugby. C’est tout de même une expérience à vivre et qui doit nous faire réfléchir sur l’avenir du rugby professionnel et sur la façon dont nous voulons suivre les matches de nos équipes.
Lorsque l’on va voir jouer le Racing 92 à la U Arena on va voir un show. Lorsque l’on allait à Colombes, on allait voir un match de rugby.